Pour faire suite et completer ma note sur notre visite estivale chez Gilis (voir plus bas), jean-François-Maurice propose de précieux et poignants éléments qui portent un éclairage différent sur les conditions réelles de la création de cet endroit.
Témoignage et documents nouveaux sur le «Manège enchanté» de Gilis près de Bonaguil (par JF Maurice)
Nous croyons tout savoir sur les sites les mieux connus de notre région mais ces créations singulières nous réservent toujours des surprises ! C’est mon ami Denis Lavaud et sa revue Zon’Art qui m’avaient sortis de mon sommeil dogmatique en me demandant tout simplement le prénom de celui que nous appelions tous Monsieur Gilis. Je suis donc retourné une nouvelle fois sur les lieux et j’ai passé l’après-midi avec la veuve de Monsieur Gilis que je connaissais de très longue date puisqu’elle était cuisinière à Bonaguil dans les années soixante-dix et donnait la soupe à mon ami « Froment » qui y exposait à cette époque. Comme quoi les plus familiers ne sont pas les meilleurs témoins ! Le prénom usuel de Monsieur Gilis est Jean. Mais ce n’est pas son vrai prénom ! En réalité, il s’appelait Prosper Gilis mais, comme me l’a dit sa veuve, il n’aimait pas du tout ce prénom ! Prosper Gilis était donc maçon et la construction du site commence avec sa maladie car ce petit site enchanteur est en fait emprunt de tragédie. Nous sommes fin 1967, début 1968. Jean Prosper Gilis souffre de « sciatique ». Son travail artistique s’est limité jusque la à un buste de Napoléon, pour lequel il avait semble-t-il de l’admiration, en vaisselle cassée façon mosaïque sur la terrasse en ciment de sa maisonnette. Gilles Séraphin, l’inventeur des graffiti de la Grosse tour du château de Bonaguil, m’a décrit les lieux à l’époque comme un capharnaüm avec vieilles carcasses de voitures et autres joyeusetés. Or la « sciatique » est en réalité un cancer de la vessie qui évoluera en cancer généralisé. Gilis meurt en 1974, à soixante-sept ans.
C’est donc selon le témoignage de sa veuve en moins de six ans avec une activité fébrile durant trois ans que ce site a été réalisé. Plus incroyable encore, c’est un homme alité qui était à l’ouvrage. En effet, Jean Prosper Gilis travaillait devant sa cheminée allongé sur une chaise longue. On lui apportait une gamelle de ciment, du plâtre et du ciment prompt. Il façonnait ses personnages en papier journal qu’il liait d’abord avec des ficelles puis avec du fil de fer. Il passait ensuite des couches et des couches de ciment, utilisant le plâtre pour le premier modelé des visages et le ciment prompt comme durcisseur mais surtout comme imperméabilisant. Ensuite les animaux et autres personnages étaient peints. Si, dans les premières années, Jean Prosper Gilis allait lui-même installer ses créations, ensuite il indiquait de sa terrasse, l’emplacement qu’il souhaitait pour organiser son jardin du rêve.
Il me faut maintenant détruire une légende, légende que j’ai moi-même contribué à répandre. Jean Prosper Gilis a effectivement réalisé son auto-portrait. Et tous de répéter, y compris moi, que le personnage en haut du site, à côté du Général De Gaulle, c’est Gilis. Eh bien non, absolument non ! La réalité est à la fois plus cocasse et plus tragique : plus cocasse, car cet homme, ce petit homme, c’est le percepteur ! Plus tragique car l’autoportrait est une des dernières pour ne pas dire la dernière sculpture réalisée par Gilis. Il avait tellement l’angoisse de ne pas réussir à la finir qu’il en devenait fébrile. « Il s’énervait, il se mettait en colère, il n’y arrivait pas, il gâchait… », me raconte sa veuve, « il lui faut terminer rapidement, il a peur de pas pouvoir, il a recommencé plusieurs fois… ». Alors se réalise l’impensable : Jean Prosper Gilis va mettre son visage sur le corps d’une autre sculpture, celle du gendarme, ajoute la casquette ! Oui !, l’autoportrait authentique de Gilis c’est le gendarme qui de son bâton blanc intime l’ordre au passant de s’arrêter au portes du rêve ! Ce que confirme, si besoin en était, tous les symboles du maçon qu’il était figurant sur le pilier derrière lui. Sans oublier la rare photographie de son visage, pieusement conservée par sa veuve.
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