mercredi 29 août 2012

The Old Curiosity Shop de Ballarat

   J’avais soupçonné l’existence de cartes postales anciennes concernant “The Old Curiosity Shop”, la maison de coquillages de Ballarat en Australie, en 2000 à l’occasion d’un article paru dans le n°31 de Raw vision consacré à cet endroit. On y voyait reproduit pleine page une photo visiblement très ancienne. Effectivement, quelques années de recherches ont permis de rassembler une douzaine de cartes dont certaines sont reproduites dans le hors-série de Gazogène “N’oubliez pas l’artiste !”.

James et Caroline Warwick                         Coll. JMC
 
Details de l'intérieur.                                                                         Coll. JMC

Details de l'intérieur.                                   Coll. JMC

Couverture de la revue "Lecture pour tous"
   En 1907 la revue “Lecture pour tous” consacrait des textes au facteur Cheval et aux Rochers sculptés de Rothéneuf dans un article titré “Excentriques confrères de nos artistes”. Il est touchant de voir que bien avant les théories sur l’Art Brut le caractère singulier de ses productions est déjà décrit et souligné. Mais la revue n’en était pas à son coup d’essai puisque qu’en chinant, je viens de découvrir qu’un numéro daté de mai 1900 relate l’existence de la maison de coquillages de Ballarat. Pour un confort de lecture j’en reproduis là un large extrait, qui reste une simple description des lieux.

Coll. JMC

“... Une maison entièrement revêtue de coquillages, à l’intérieur comme à l’extérieur existe à Ballarat, une localité située en Australie. Elle est la propriété d’un fabricant de briques et de moulages qui a orné non seulement les murs de la façade de son immeuble mais les ustensiles les plus divers qui y sont renfermés, vases, statuettes, lampes, bassins, supports, d’innombrables variétés de coquillages, de toutes dimensions et toutes couleurs, depuis les énormes coquilles Saint-Jacques jusqu’au minuscules coquillages roses dont certaines peuplades se font encore des colliers. La maison en coquillages, dont nous donnons ici la reproduction photographique, est visitée chaque année par des milliers de curieux, et elle est certainement l’une des plus intéressantes attractions de la contrée où elle s’élève.”
 
James et Caroline Warwick                        Coll. JMC
The Old Curiosity Shop
   Situé dans la partie est de la ville australienne de Ballarat (province de Victoria, au nord-ouest de Melbourne, au cœur de l’ancien district aurifère), Old Curiosity Shop qui existe toujours est le fruit du travail de toute une vie; Son auteur James Warwick était maçon briquetier de son état, né en 1822, il débarque en 1855 avec sa femme Caroline, en Australie, à la recherche de l’or. Pourtant, la même année, il commence à décorer un petit coin de sa modeste maison. Ce sont les enfants du quartier qui lui amèneront pour quelques sous, les débris de vaisselle, les fragments de porcelaine, des tessons de bouteille, et autres récupérations de toute sorte mais également de toute taille. A l’origine, la maison et le jardin étaient entourés par un haut mur de briques surmonté de morceaux de verre.


Les aménagements extérieurs                                                               Coll. JMC

   A l’intérieur, l’accumulation défiait toute description. On remarquait cependant sur le mur situé à gauche du portail d’entrée une foule de têtes de poupées aux yeux vides tandis que d’autres frises, composées elles aussi de têtes de poupées rangées par demi-douzaines, entouraient une tête de porcelaine représentant une vieille femme. S’agissait-il d’une fresque symbolisant les âges de la vie ? Ailleurs, une accumulation de boites de médicaments formait un soleil levant. Le mur ouest de la maison était recouvert de coquillages formant un décor géométrique. Le mur sud était, lui, composé de morceaux de verre colorés et de bouts de miroirs. Le reste formait une mosaïque incroyable avec d’énormes coquillages, des coquilles de nacre, des décors de récupération, des tuiles et autres artefacts ornés, des vasques, des vases aux formes étranges.
A l'extérieur, un mur de têtes de poupées...  Coll. JMC
   Dans la maison, Caroline Warwick avait elle aussi imprimé sa marque avec des rideaux, des coussins, des œuvres au crochet, des patchworks et autres tapisseries. Sans oublier d’incroyables éventails réalisés avec les plumes du cacatoès qui fut leur fidèle compagnon et que l’on voit posant sur notre carte postale. Après avoir ouvert au public leur jardin en 1895, James Warwick meurt le 9 août 1898 et sa femme s’éteint trois ans plus tard. (Gazogène, 2008)

vendredi 3 août 2012

JOHN HENRY TONEY

   Pour faire suite et compléter l’exposition “American Folk Art” qui se poursuit jusqu’au 31 août à Belaye (Lot), j’entame ici une petite série d’articles consacrés à quelques artistes, parmi mes favoris présentés sur place.

   Né en 1928 dans l’Alabama, John Henry Toney n’a fréquenté l’école que 6 ans avant de revenir aider sa famille à la ferme. Il a toujours aimé dessiner mais un jour lorsqu’il était jeune homme, il se fit licencier car il avait dessiné le portrait de son patron ce qui lui fit stopper net le dessin. Plus tard en 1994, un évènement inattendu allait bouleverser le cours des choses : un jour, il travaillait dans un champ lorsqu’il vit dépasser de la terre un navet qui avait l’allure d’un visage humain. Persuadé qu’il s’agissait là d’un signe divin, il se remit à dessiner de façon soutenue.


Coll. JMC
   Utilisant des stylos feutres et des marqueurs, il développe depuis cette date un univers à la frontière du réel et de l’imaginaire peuplé d’animaux, personnages extravagants projetés dans une époque qui rappelle parfois un Far West rural. D’un trait sûr et sensuel, il décrit des scènes étranges où les hommes sont parfois plus petits et insignifiants que les femmes dont il surcharge outrageusement les vêtements et qu’il affuble de coiffures délirantes. Dans certains dessins la figure féminine est presque caricaturée avec des poitrines proéminentes et des attributs exagérés ce qui reflète peut-être la culture dans laquelle J. H. Toney a été élevé et où la fertilité et la famille nombreuse étaient source de fierté.

Coll. JMC

Coll. JMC
   Son importante signature suivie de son âge est intégrée au dessin sur lequel il inscrit également de façon très visible son numéro de téléphone et même parfois son adresse ou la date d’expiration de son permis de conduire... Il est somme toute très fier de ses dessins et n’hésite pas à dire avec humour : “...c’est pas pour me vanter mais une fois de plus, cette image frôle le génie !”
Coll. JMC
Coll. JMC
   Il ne sait à peine lire et son langage est rudimentaire et rustique ; il ne regarde jamais la télévision et il n’a jamais voyagé loin de chez lui et c’est l’observation de son environnement direct qui lui apporte son inspiration. C’est un homme humble, philosophe et extrêmement poli qu’une éducation simple, faite de dur labeur et de privations, n’a pas empêché d’acquérir un sens aigu des valeurs. Il est très croyant et ses anciennes œuvres faisaient souvent référence à la Bible, ce qui contraste avec les nombreuses superstitions auxquelles il attache une réelle importance.
Coll. JMC
   Il y a encore deux ans, il vivait dans un mobile home sans confort situé au bord d'un marécage infesté d’alligators. Sans eau courante, le chauffage se limitant à un petit appareil électrique, il a fini par se faire expulser de cet endroit et survit aujourd’hui grâce à l’aide de quelques voisins qui l’hébergent et de certains de ses admirateurs.
Coll. Galerie Degbomey
   John Henry Toney est l’un des représentants du Black Folk Art auquel je suis le plus attaché. Ses dessins inventifs et dotés d’une forte présence en font un artiste à rapprocher d’Henry Speller dont je parlerai plus tard.  Des scènes étranges où la vie quotidienne rurale côtoie une sorte de chamanisme coloré. Des visions oniriques dans un style grotesque maitrisé où l'humour n'est jamais loin. Si certains amateurs lui sont fidèles depuis quelques années, il faut bien reconnaitre que son travail a longtemps été boudé. Peut-être faut-il mettre en cause l’utilisation du feutre qui effraie et éloigne les collectionneurs. En attendant, un bel article lui a été enfin consacré dans la revue Raw Vision (n°72, printemps / été 2011).
 
Coll. Galerie Degbomey